Jack Tyler fait partie de ces rares réalisateurs français qui osent aborder la politique à travers le porno. Plaquant la crise sociale française actuelle en toile de fond, son dernier film Les Caresses de l’Aube remet le marxisme au goût du jour. L’occasion de parler politique, économie, Dieudonné, Soral… Voici la suite de l’intégralité de son interview.
Pourquoi n’y a-t-il plus de conscience de classe selon toi ?
C’est la grande ingéniosité du capitalisme, qui a été d’abord de mettre la main sur tous les médias. Il y a une pensée unique, qui est déroulée dans tous les médias : « grimpons tous dans le bateau de la social-démocratie et effaçons la lutte des classes, et la notion même de classe ». Comme le prolétariat a été atomisé et que les bourgeois votent dans le sens de la social-démocratie parce qu’ils ont peur du bolchevik qui avance le couteau entre les dents, ça permet d’associer la social-démocratie, c’est-à-dire la gauche au libéralisme. Le clivage gauche-droite ne se fait donc plus que sur les différences sociétales, comme le mariage pour tous et des sujets qui concernent des minorités, dont la plupart des gens se foutent. Les médias se concentrent sur ces sujets subalternes et ne remettent jamais en cause le système, parce que le système est leur patron. Réfléchir, ça demande un travail, pour d’abord savoir qui t’oppresse. Pendant des années, il y avait deux clans facilement identifiables, celui du Capitalisme-Liberté-Progrès et celui du Communisme-Oppression-Anti-Progrès. Après la Chute du Mur et avec le développement de la Chine, ce clivage n’existe plus. La Chine est devenue le modèle pour les grands décideurs (ONC, Banque Mondiale, FMI, instances européennes…) : État fort, suppression des libertés privées et capitalisme débridé. Partout dans le monde, les décideurs rêvent d’avoir un pouvoir équivalent à celui du modèle chinois : personne ne moufte, on met de la répression partout, internet est bridé (donc toute parole publique), la création est une création d’Etat, et tout le monde bosse à l’usine pour un salaire de misère en remerciant le grand patron. A l’époque où il y avait deux camps, c’était difficile d’avoir une parole marxiste parce que tu étais tout de suite discrédité. Après la Chute du Mur, l’idéologie capitaliste s’est répandue partout et a contaminé tous les débats et toutes les pensées. Rares sont les penseurs français qui remettent en cause le capitalisme (pas comme système économique, mais comme système d’organisation sociale). La notion de Progrès est venue de la gauche. Or avec les problèmes environnementaux et économiques issus du capitalisme et de la foi aveugle au Progrès, on s’aperçoit aujourd’hui qu’on n’arrive pas à nourrir les gens, qu’on épuise les sols, qu’on crée des maladies, tout ça au profit de quelques multinationales. Comme la science n’est allée que dans le sens du Progrès, on a abandonné tout principe de faire évoluer le bien-être des gens, d’assurer l’essentiel. La solution est plutôt du côté de la sobriété et de la décroissance, il faut revenir à l’essentiel : nourrir la population gratuitement...
Jack Tyler filme Julie Valmont
Le mot décroissance fait peur, vu qu’on l’associe - à tort ou à raison - à une baisse du pouvoir d’achat, lequel a déjà pas mal baissé. Comment convaincre le peuple que la décroissance serait un progrès et non pas une régression ?
La décroissance n’est pas forcément liée à une baisse du pouvoir d’achat, il faut juste que les gens se rendent compte qu’ils ne travaillent pas pour eux, mais pour un système qui sert à enrichir une poignée d’individus et qu’à terme, ils n’auront même pas de quoi assurer un avenir à leurs enfants. Donc la solution est plutôt dans la décroissance, dans la fermeture des frontières. Il faut qu’un pays soit capable de nourrir et de soigner sa population. Il ne devrait pas y avoir d’autres désirs, à mon sens. C’est peut-être un point de vue conservateur, mais je ne vois pas ce qu’on peut désirer d’autre que de vivre correctement, dans la dignité.
Est-ce difficile de faire passer un message politique dans un film porno ?
Dans mon film, le message politique n’a pas pris le dessus, c’est plutôt une toile de fond. Le personnage principal étant anarchiste, il a une vision négative de la famille et du couple traditionnel, il est hédoniste et ne pense plus à l’avenir, donc il vit avec deux filles et prend du plaisir avec dans une optique égalitaire, sans rapports de couple. Ça fait partie du fond politique du film.
N’est-ce pas une utopie, vu que ce cas de figure d’un homme qui vit avec deux filles sans travailler se présente rarement dans la vie réelle…
(rires) Oui, je ne connais pas non plus ce cas de figure, qui ne doit exister que de manière marginale. Mon idée n’était pas de montrer une relation qui durerait, mais de montrer des « marginaux » à un moment de leur vie, coupés du système consumériste et vivant plus dans l’amitié, le plaisir…
Selon toi, est-ce que la liberté sexuelle se situerait plutôt à gauche ou à droite, aujourd’hui ?
Je ne crois pas que la liberté sexuelle soit d’un bord politique ou d’un autre. A gauche comme à droite, ils sont tout autant liberticides envers la sexualité. La gauche emmerde le monde avec la prostitution. Ségolène Royale voulait faire supprimer la pornographie… La droite étant plus libérale, elle est plus à l’aise pour laisser faire le marché. La gauche peut être plus coincée sur les questions sexuelles, avant tout pour ne pas se faire taxer de dangereuse permissivité, donc ils sont amenés à être « plus fachos que les fachos ». La gauche voudrait aussi mettre l’homme et la femme sur un pied d’égalité, tandis que la droite assume mieux les différences fondamentales entre les sexes. Il y a un gros problème dans ce que l’on essaye de nous imposer, mais ce n’est pas l’égalitarisme sur le plan économique, qui me paraît justifié car il ne devrait pas y avoir de différence de salaire entre l’homme et la femme ; en revanche, en ce qui concerne la théorie du genre, j’y adhère très peu car elle dilue l’identité sexuelle dans une sorte de libre choix à chacun, je ne vois pas comment on peut dire à des gamins à l’école qu’un garçon et une fille, c’est pareil… Je conteste les disparités salariales, mais on en arrive à voir des femmes singer les comportements d’autorité des hommes pour montrer qu’elles aussi ont des couilles. Est-ce que c’est la bonne direction à prendre ? Franchement, non… J’ai beau être très libéral sur certains plans, là je ne vois pas l’intérêt, c’est du lavage de cerveau, tout ça pour répondre à une théorie oiseuse destinée à défendre les droits des homos. C’est très bien qu’ils aient des droits et qu’ils ne soient pas discriminés, mais on marche sur la tête.
Défend-on trop les droits des minorités et des communautés au détriment de l’intérêt général en France, selon toi ?
Le but du projet, c’est d’atomiser la population pour que chacun porte sa petite revendication identitaire ou communautariste, pour qu’il y ait une impossibilité de fonder un mouvement plus global sur la base de revendications simples et essentielles.
C’est la thèse d’Alain Soral. Que t’inspire la censure médiatique actuelle de certaines personnalités comme Alain Soral et Dieudonné ?
Ça ne m’inspire rien de bon. Pour faire simple, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée de la part d’Alain Soral d’aller faire une quenelle à Auschwitz (ndlr : la quenelle a été tendue à Berlin, au Mémorial de la Shoah). C’est un mec très intelligent donc ce n’est pas de la connerie de sa part, c’est forcément de la provocation, mais c’eut été bien plus malin de le faire devant l’ambassade d’Israël, à mon sens. Je conteste le droit d’Israël à exterminer toute une population. Pour parler de Dieudonné, on a tout mélangé dans ce débat, on aurait dû se contenter de rester sur le terrain de la liberté d’expression. C’est un humoriste, personne ne peut lui contester ce droit-là. Qu’il y ait dans ses textes des saillies antisémites, c’est une chose, mais il ne faut pas oublier que les lobbies juifs lui ont mis la misère pendant des années, plus exactement les lobbies sionistes, qui sont très forts en France. De mon point de vue, je peux comprendre que Dieudonné fasse de la provocation, c’est normal pour un humoriste. Que sa provocation soit nauséabonde, c’est à chacun d’en juger en son âme et conscience, personnellement je ne la trouve pas plus nauséabonde qu’une autre. Quand il dit à propos de Patrick Cohen, « Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambre à gaz… Dommage », ça me fait marrer. J’ai peut-être un humour d’un goût douteux, mais la Shoah s’est déroulée il y a un certain temps, aujourd’hui il y a prescription, on peut en plaisanter et je ne pense pas que Dieudonné soit antisémite.
Il flirte avec la loi Gayssot…
Oui, sauf que dans cette phrase à propos de Patrick Cohen, il admet que les chambres à gaz ont existé, donc il n’est pas négationniste. Rappelons que le procès de Nuremberg a été fait par les vainqueurs ; tous les témoignages recueillis lors de ce procès devraient être sujets à caution. Un partie de ma famille est morte dans les camps de concentration, je suis à moitié juif de par mes origines donc je suis bien placé pour en parler. Cette guerre a fait 50 millions de morts, et les communistes, les tsiganes et les homosexuels ont été tout autant martyrisés… On critique l’Iran parce que c’est un Etat religieux, mais il n’y a pas plus religieux et raciste que l’Etat d’Israël, ils considèrent les palestiniens comme des sous-hommes (comme tous ceux qui ne sont pas juifs). Le sionisme est une doctrine raciste, Israël est le seul régime qui avait des relations commerciales avec le régime d’Apartheid en Afrique du Sud. Ils leur donnaient des conseils pour brimer efficacement la population autochtone. Netanyahu n’était pas aux obsèques de Mandela, il considère Mandela comme un terroriste au même titre qu’il considère les Palestiniens comme des terroristes. Ils sont forts pour exporter des conflits : en Lybie, en Syrie, au Liban… On sait très bien aujourd’hui que les rebelles dans ces pays sont armés par les Etats-Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite… Dans ces pays du Moyen-Orient où aucun droit n’est respecté et où une petite patrie de la population se goinfre. Nos dirigeants serrent la pince à ces mecs-là… Au secours !